by William GAULT for Fondation pour la Recherche sur Alzheimer
Hommage à Emmanuel GAULT.
Texte Véronique GAULT
Photos famille GAULT
Il était une fois un petit garçon qui ne vivait que de fromage, de saucisson et de frites,
le tout arrosé d’un grand verre de coca. Pour rétablir un semblant d’équilibre, sa
maman lui glissait des radis à chaque repas. Radis qu'il engloutissait avec une motte
de beurre et du gros sel.
Et puis le petit garçon grandit, démontrant au monde entier que, contrairement à la
légende, la soupe n’a rien à voir avec la croissance des enfants. Un jour, il rencontra
celle qui devint son épouse. Ensemble, ils eurent deux beaux et grands garçons. Il
leur transmit l’art de savourer le camembert en écoutant du Zappa, et fit de même
avec ses nombreux neveux et nièces. Fort de son influence sur cette armée de nains
de jardin, comme il les appelait, il s’octroya le titre, pompeux mais fabuleux, de
Tonton Camembert. Tonton Camembert était un roi.
En été, roi du ping-pong, du barbecue, des donjons et des dragons, et lecteur assidu
des Super Picsou Géant.
En automne, roi des bûcherons, des cabanes dans la forêt et du ramassage de
châtaignes.
En hiver, roi de la Game boy et de la neige jaune.
Et au printemps, il devenait l'auteur d’histoires abracadabrantes. L’une d’elles
s’appelait Entretien avec un fromage. Elle racontait l’histoire d’un vieux fou qui
aimait tant le fromage qu’il en avait fait une passion dévorante, semant derrière lui
aphorismes gourmands, odeurs inoubliables et amuse-gueules littéraires. Mais un jour, une saloperie de maladie le rattrapa. Celle qui, peu à peu, efface le passé… et
même le présent. Alors, il imagina une île. Une île où il pourrait déposer tous ses
fromages comme autant de souvenirs de ce qu'il avait vécu, des gens qu'il avait
rencontrés, de ceux qu'il avait aimés. Une île aux trésors, une île enchantée, un jardin
d'Eden, un paradis. Parce qu'il savait qu’au moment de partir, il retrouverait là-bas
tous ses souvenirs intacts. Alors quand il sentit que la fin était proche, il choisit
d’aller la rejoindre.
Cette histoire, Tonton Camembert – Emmanuel, Papa, Manu, Tonton man, Papou,
Tonton, Manuel – il l’avait inventée sans savoir qu’en réalité, il racontait déjà la
sienne.
Je vous lis les dernières phrases de cette histoire qu'il a écrit :
Dehors, ça sent la peur du vide et le babeurre aigrelet. Ce sont, comprenez bien, les
prémices d’une aventure annoncée, même si les tensions sont palpables, même si le
lait déborde des cuves.
Il est cinq heures du matin.
Honfleur la paresseuse dort encore. Il fait froid. Manu marche à petits pas précieux.
Il s’appuie sur la canne en bois d’ébène que lui a offert son épouse il y a bien
longtemps.
Le port est désert ou presque. Il fait encore nuit, quand on entend au loin la sirène d’un bateau.
— Tu as entendu ? Dépêchons-nous un peu. Je ne voudrais pas louper le train.
— Le bateau, Manu. Tu voyageras en bateau. Tu es sûr que tu ne veux pas que je
t’accompagne ?
— Pourquoi diable voudrais-tu m’accompagner ?
— Je ne sais pas, tu as l’air si fragile.
— Mais non, ne t’inquiète pas. Là où je vais, rien de fâcheux ne peut m’arriver. Voilà. Donc là où il est, on est tous avec lui.
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